Faire Du Développement Durable une Réalité : la Déclaration d’Iéna

Article  initialement publié dans « The Cadmus Journal » le 29 Novembre, 2021  

Auteur : Thomas Reuter

Résumé

La Déclaration d’Iéna, présentée ci-dessous, soutient que les Objectifs de Développement Durable (ODD) ne peuvent pas être atteints simplement en intensifiant l’utilisation des méthodes et stratégies établies. Pour une transformation globale vers le développement durable, un changement fondamental de stratégie est nécessaire, une approche qui s’appuie sur le pouvoir de millions de citoyens et de communautés locales à travers le monde et sur la perspective intégrative des sciences sociales et des arts.

 

La Déclaration d’Iéna ( LDI – The Jena Declaration – TJD)

Nous vivons à l’ère de l’Anthropocène, une époque où la myriade d’activités sociales et économiques de près de 8 milliards de personnes domine et façonne les cycles et les processus de la nature. Nous repoussons les limites de la planète pour soutenir la vie. Le monde est confronté à une « omnicrise » de changement climatique, de perte de la biodiversité, de la pandémie de la COVID-19, d’instabilité financière et d’inégalités flagrantes. Ces problèmes sont profondément enracinés et imbriqués, et appellent des transformations à l’échelle du système mondial vers un développement durable socio-écologique. *

 

Que faudra-t-il pour que le monde tienne compte des terribles avertissements des scientifiques ? Cette question a conduit un groupe d’influenceurs en sciences sociales et humaines à appeler à une mobilisation populaire mondiale pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies avant la date cible de 2030. Sous la direction de la Chaire de l’UNESCO sur la Compréhension Globale du Développement Durable de l’Université Friedrich Schiller d’Iéna, en Allemagne, le groupe a lancé une déclaration publique le 9 septembre 2021. La « Déclaration d’Iéna (TJD) » appelle à une nouvelle approche en profondeur. Des recommandations spécifiques pour un changement institutionnel visent à permettre aux citoyens ordinaires du monde entier d’apporter des changements fondamentaux dans leur mode de vie afin de construire un avenir meilleur pour notre planète. L’approche respecte les diversités culturelles et régionales.

 

Le changement vers un avenir durable et prospère pour la société exige en fin de compte de profonds changements de comportement de la part des 7,9 milliards d’entre nous, et le temps presse. Bien qu’il soit commode de présenter l’inaction comme une crise de leadership, il est simpliste de s’attendre à une action décisive sur un programme politique transformateur sans un large soutien de l’électorat. Ainsi, la question qui est au cœur de la Déclaration d’Iéna est la suivante : comment une mobilisation publique à grande échelle peut-elle apporter un changement transformateur à l’échelle mondiale ?

 

Le dilemme de la résistance culturelle au changement  n’a pas échappé à l’attention de la communauté scientifique, mais les tentatives organisées pour y remédier ont malheureusement fait défaut. L’une des raisons en est que les conseils sur les politiques à mener concernant le changement climatique et le développement durable sont dominés par des scientifiques de formation et des technocrates dont l’expertise n’est pas le changement social ou politique. Pour remédier à cette lacune, la Déclaration d’Iéna (TJD) vise à élargir les perceptions du dilemme du développement durable en travaillant sur trois volets de programme : les arts, l’apprentissage et l’éducation dans tous les groupes d’âge, et l’engagement communautaire. TJD appelle à une transformation sociétale vers le développement durable grâce à des changements systémiques holistiques dans les systèmes sociaux, culturels et naturels, et à des solutions aux problèmes du monde réel basées sur la co-conception inclusive et la coproduction de connaissances.

 

« TJD souligne les changements nécessaires dans le comportement humain à grande échelle et la nécessité d’une redistribution du pouvoir afin que l’avenir du monde ne soit pas déterminé par les entreprises, les gouvernements et les institutions qui privilégient leurs propres programmes plutôt que les besoins d’une vie durable sur terre. »

 

TJD soutient que les ODD ne peuvent pas être atteints simplement en intensifiant l’utilisation des méthodes et stratégies établies. Un changement fondamental de stratégie est nécessaire, une approche qui s’appuie sur le pouvoir de millions de personnes créatives, d’enseignants et d’étudiants, et de communautés locales à travers le monde. Les participants ont fait valoir que des progrès plus rapides et plus solides peuvent et doivent être réalisés en impliquant l’ensemble de la société, et ont conclu que les arts, l’éducation et la société civile doivent être mobilisés pour engager beaucoup plus de personnes de tous âges à comprendre les problèmes et leur potentiel de pouvoir de transformation.

 

TJD souligne les changements nécessaires dans le comportement humain à grande échelle, et la nécessité de redistribuer le pouvoir afin que l’avenir du monde ne soit pas déterminé par les entreprises, les gouvernements et les institutions qui favorisent leurs propres agendas par rapport aux besoins d’une vie durable sur terre

 

Cette approche déplace l’attention des solutions techniques vers l’engagement actif d’un grand nombre de personnes de tous les horizons. Par exemple, le plan budgétaire de la politique de développement durable de l’Union Européenne alloue une écrasante majorité de ses fonds aux technologies environnementales, et seulement une petite partie à toutes les autres approches, telles que l’éducation ou l’engagement de la société civile. À l’inverse, TJD appelle toutes les institutions politiques et scientifiques concernées et les agences de financement à utiliser la Décennie d’Action des Nations Unies (2020-2030) comme une occasion de mettre la dimension culturelle au centre des programmes de développement durable. Cela impliquerait de :

 

1. Travailler au-delà des générations et des héritages pour s’assurer que les gens de tous âges et de tous horizons sont engagés et que leurs préoccupations sont entendues dès le départ ;

2. Réformer la recherche, le financement et l’organisation en matière de développement durable afin de refléter ces nouvelles priorités ;

3. Repenser les programmes d’études et les établissements d’enseignement pour mettre l’accent sur les priorités sociétales mondiales et la manière de les aborder ;

4. Compléter les stratégies descendantes (top-down) axées sur les solutions par des approches ascendantes (bottom-up) inclusives et différenciées sur le plan régional qui traitent de problèmes locaux et régionaux spécifiques ;

5. Renforcer la collaboration dans tous les domaines de recherche afin que les connaissances techniques soient profondément intégrées à l’engagement social.

6. Inclure les arts, les sciences humaines et sociales et, en particulier, les intervenants locaux dans la co-création de modes de vie durables culturellement et régionalement diversifiés.

Bien qu’il y ait déjà eu de nombreuses initiatives locales, il n’y a jamais eu de tentative sérieuse de coordination des actions locales à travers le monde. La Chaire de l’UNESCO sur la Compréhension Mondiale du Développement Durable prend ainsi la responsabilité de lancer un mouvement mondial coordonné pour la mise en œuvre de la Déclaration d’Iéna, en coopération avec des partenaires locaux et mondiaux. À cette fin, les partenaires demandent le soutien le plus large possible. La déclaration peut être cosignée ici. Le lancement officiel de ce mouvement a eu lieu le 9 septembre 2021 avec une large participation de communautés et d’individus du monde entier.

 

La mise en œuvre a maintenant commencé et implique une mise en relation de divers partenaires pour un soutien mutuel et le lancement de projets modèles à travers les continents. Cela sera guidé par trois axes de programme :

 

1. Création

Les mentalités, les routines quotidiennes et les habitudes dépendent beaucoup de leur contexte culturel. La façon dont nous faisons les choses dépend de ce qu’elles signifient pour nous, de la façon dont nous voyons le monde et de notre place dans celui-ci. Une grande partie de ce contexte est le résultat de l’exposition aux images, à la musique, aux histoires, au journalisme et à d’autres types de médias. Les arts sous toutes leurs formes sont cruciaux pour élargir les mentalités, offrant de nouvelles perspectives esthétiques et éthiques sur ce qui constitue une bonne vie. TJD met ainsi en relation des artistes de différentes orientations pour le mouvement artistique le plus large possible à travers le monde, dans toutes les langues. En reliant les arts à la compréhension scientifique, nous construisons une nouvelle vision de la transformation et de la vie durable sur terre.

 

2. Apprentissage

Les étudiants sont le deuxième pilier d’action. La génération actuelle d’étudiants – qui représente 1 personne sur 4 sur terre – est curieuse et de plus en plus préoccupée par les pratiques mondiales liées au développement durable, à l’environnement, aux structures sociales, à l’égalité, à l’équité, aux villes, à la santé publique, au changement climatique, etc. Ils en apprennent beaucoup par eux-mêmes, par le biais des médias et les uns des autres.

 

Prises dans les traditions et la pensée du 20e siècle, les écoles sont terriblement en retard. Reconnaissant la popularité croissante de l’apprentissage individuel chez les élèves, nous prévoyons d’atteindre les élèves par un chemin et les enseignants par un autre, en parallèle. Mais nos efforts ne peuvent pas s’arrêter aux étudiants qui terminent leurs études secondaires ou leurs études supérieures. Nous devons penser à chaque personne sur terre comme à quelqu’un qui apprend. Tout le monde doit en savoir le plus possible sur le développement durable. Sinon, ils ne comprendront pas et ils ne s’en soucieront pas. La Déclaration d’Iéna est donc un mouvement mondial encouragé par les étudiants et les enseignants, alimenté par un changement massif de priorité du 20e au 21e siècle en pensant aux priorités et aux résultats souhaités.

 

3. Se Connecter

Les groupes communautaires, les ONG, les organismes de bienfaisance, les organisations confessionnelles, les organisations de jeunes et de nombreux autres groupes de ce milieu rassemblent les citoyens locaux qui s’engagent pour le bien commun. Une grande partie de ces activités existent d’ores-et-déjà, mais peu d’entre elles sont coordonnées à l’échelle mondiale. Par conséquent, la plupart des groupes ne connaissent pas leurs semblables et leurs collaborateurs potentiels. TJD aidera et étendra cette solidarité et cet échange de connaissances avec une plate-forme en ligne qui mettra en relation les acteurs locaux de la société civile avec le gouvernement local et les entreprises pour un engagement conjoint dans la réalisation du développement durable mondial. Les projets phares sensibiliseront davantage au rôle vital de la coopération intersectorielle locale dans la transformation sociale. Une large couverture médiatique aidera tout le monde à comprendre qu’ils font partie d’un mouvement mondial massif.

 

La Déclaration d’Iéna a été inspirée par une conférence tenue en octobre 2020 dans la ville historique d’Iéna, en Allemagne. Iéna est le berceau de la pensée libertaire et du mouvement romantique au début du 19ème siècle, et abrite des penseurs pionniers du développement durable (Carl V. Carlowitz) et de l’écologie (Ernst Haeckel). Organisée par la Chaire de l’UNESCO sur la compréhension globale du développement durable, le Prof. Benno Werlen, en partenariat avec le Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines (CIPSH) ; l’Académie Mondiale des Arts et des Sciences (AMAS), le Club de Rome; Academia Europaea, le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada; l’Union Géographique Internationale et d’autres partenaires, la conférence a posé ces questions urgentes : Pourquoi les 17 ODD de l’ONU ont-ils peu de chances d’être atteints d’ici 2030, voire jamais ? Et que pouvons-nous, en tant qu’éducateurs, influenceurs, activistes, artistes et étudiants, faire pour renverser la situation et revendiquer le succès ?

 

Nous avons commencé. Nous espérons que vous vous joindrez à nous.

* Je tiens à remercier les autres signataires fondateurs de la Déclaration d’Iéna, Howard Blumenthal, Joanne Kauffman et Benno Werlen, pour leurs commentaires et suggestions détaillés sur les versions antérieures de ce document.

Faire Du Développement Durable une Réalité : la Déclaration d’Iéna

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